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L’affaire Charles-Henri SALIN

Début des années 80, des attentats à la bombe, visant les symboles du pouvoir colonial, retentissent un peu partout en Guadeloupe. C’est l’avènement des Nuits bleues, un embrasement orchestré entre autres par des révolutionnaires nationalistes du GLA (le groupe de libération armée de la Guadeloupe) ou encore de l’ARC (l’alliance révolutionnaire Caraïbe, militant activement pour l’indépendance de la Guadeloupe).

En outre, au milieu des détonations, des déflagrations, des noms résonnent marquant solidement les mémoires de la nation guadeloupéenne.
A partir de 1983, les méfaits de Patrick Thimalon, malfaiteur notoire présenté comme l’ennemi public numéro un, donneront lieu à une véritable chasse à l’homme.

En 1978, la Dominique accédait à l’indépendance. Un an plus tard, l’île aux 365 rivières était dévastée par le cyclone David. La Guadeloupe voit alors d’un très mauvais œil l’arrivée sur son sol de ces immigrés dominiquais qui s’installent, entres autres, dans le quartier abymien de Boissard. Dès lors, le lieu est décrié et décrit comme un haut lieu de criminalité et de délinquance fréquenté par une population qui insupporte.

Imbroglio de petites cases en tôle, dédale de petits chemins, le bidonville est aussi le lieu de résidence d’un certain Patrick Thimalon dont les exactions contribueront à marginaliser durablement le quartier et sa population.

Un an plus tard, 1984, le virtuose du gwo-ka, Marcel Lollia dit Vélo décèdera en juin. La Guadeloupe endeuillée, lui consacrera une veillée et des funérailles dignes du génie musical qu’il était.

Juillet 1984, quatre militants de l’UPLG (Michel Uranie, infirmier, François Casimir, enseignant, Fred Pineau, agriculteur et Jack Berthelot, illustre architecte) trouveront la mort dans des conditions encore mystérieuses, alors qu’ils s’apprêtaient à poser des bombes, à Pointe-à-Pitre.

Le 3 juin 1985, Georges Faisan, indépendantiste, membre du MPGI, sera condamné à trois ans de prison ferme à Pointe-à-Pitre, pour avoir asséné un coup de coutelas à un enseignant blanc à qui il était reproché d’avoir frappé à coups de pied un élève guadeloupéen.

Dans ce contexte belliqueux, un bras de fer oppose la France à une Guadeloupe assoiffée d’indépendance et d’autonomie. La France tentera dès lors de renforcer sa mainmise en intensifiant sa présence militaire sur l’île. Les nerfs des Guadeloupéens sont à vif. La peur, l’indignation, la douleur, la révolte ou la colère plantent, tour à tour, en eux, leur drapeau. Le moral des Guadeloupéens est mis à mal, un état qui atteindra son paroxysme en 1985, avec une tragédie : l’assassinat d’un étudiant guadeloupéen de 21 ans, Charles-Henri Salin par Michel Maas, un gendarme blanc.

Un peu plus tôt, au mois de novembre 1985, un dénommé Dyola, gendarme de son état, était abattu et retrouvé mort dans le désormais tristement célèbre quartier de Boissard. Immédiatement, le crime est imputé à Thimalon que toutes les forces de police et de gendarmerie s’empresseront de rechercher activement voire avidement. C’est là, en effet, l’occasion rêvée pour la France, blessée dans son orgueil devant la rébellion du peuple de son ancienne colonie, de faire un exemple et ainsi de rasseoir son autorité bafouée. La répression est en marche. Des gendarmes vindicatifs et véhéments arpentent l’île, battant la ville et la campagne, aux trousses d’un nom davantage que d’un homme. Au fond, qui, à l’époque, pouvait réellement se targuer d’avoir déjà vu Thimalon ? Qui était, vraiment, en mesure de brosser un portrait fidèle de celui que l’on surnommait aussi « le robin des bois de Guadeloupe » ?

Nous sommes le 18 novembre 1985, Charles-Henri Salin revient du cinéma La Renaissance. Il marche tranquillement en direction de Chauvel, un léger sac en toile sur l’épaule quand il croise la route de trois fourgons de gendarmes. Le contrôle d’identité du jeune homme tourne alors en bain de sang. Charles-Henri Salin est abattu froidement et tombe sur le dos. Que s’est-il passé ?

Les gendarmes expliqueront tout d’abord qu’invectives et insultes auraient été l’irrévérencieuse réponse de Charles-Henri Salin à leur sommation. Qu’ensuite la pénombre était telle qu’en voyant le jeune homme ouvrir son sac pourtant si mince que le contenu, des livres et des cahiers, en devenait aisément identifiable, qu’ils redoutaient que ce dernier n’en extirpe une arme à feu et n’attente à leur vie. Bravant l’extrême danger que ce Thimalon en puissance ; décrit unanimement comme un jeune homme calme et pacifique ; représentait sur le moment, le maréchal chef des logis Michel Maas tire trois fois et abat Charles-Henri Salin.

Une kyrielle d’incohérences et d’interrogations ébranlent pourtant cette version officielle. Comment un jeune homme encerclé par 6 ou 7 gendarmes pourrait-il représenter un réel danger ? Tirer 3 fois sur un individu que l’on soupçonne d’être armé ne s’apparente-t-il pas davantage à une exécution, d’autant plus qu’aucun des sept gendarmes présents n’a été blessé ? Pourquoi Michel Maas, fonctionnaire aguerri et donc extrêmement expérimenté, n’a-t-il pas davantage fait preuve de sang-froid et de maîtrise face à Charles-Henri Salin, debout à peine à 1, 50 mètres de lui ? Pourquoi pas un des gendarmes n’a-t-il fouillé Charles-Henri Salin pendant que les autres le tenaient en joue ? Pourquoi les gendarmes ont-ils abandonné le corps du jeune homme à l’hôpital ? Pourquoi les parents de Charles-Henri Salin ont-ils retrouvé leur fils, torse nu au CHU de Pointe-à-Pitre ? Comment la chemise de Charles-Henri Salin s’est-elle retrouvée dans la poubelle d’une gendarmerie ? Et surtout, pourquoi le Michel Maas a-t-il été transféré en Martinique, le soir même du décès de Charles-Henri Salin ?

Au lendemain de cette tragédie, sans qu’aucune enquête officielle n’ait été menée, le préfet invoque, sur les ondes, la légitime défense pour justifier la mort de Charles-Henri Salin et égratigne au passage la réalité. Désormais Charles-Henri Salin, jeune homme placide, revenant du cinéma se mue en jeune drogué revenant de Boissard. Dès lors, la compromission préfectorale est sans appel et les principes républicains sont outragés.

A l’époque, Radio Tanbou s’enquiert de lever le voile sur les zones d’ombre de cette sombre histoire. Tanbou sera l’unique média à se rendre sur les lieux de la tragédie et à tenter de rétablir les faits. Elle procèdera d’ailleurs à l’enregistrement d’un témoignage qui sera confié ultérieurement aux avocats de la victime.

Malgré la tentative de manipulation populaire, une vive émotion gagne toute la Guadeloupe. Lycéens, collégiens, parents d’élèves, anonymes décident de témoigner leur soutien à la famille Salin à l’occasion d’une longue marche partant du lycée de Baimbridge pour se rendre sur le lieu du crime.

Du reste, l’élan de solidarité est tel que le préfet est contraint de libérer l’après-midi de l’inhumation de Charles-Henri Salin, afin que le plus grand nombre puisse assister aux obsèques du jeune homme.

Le sang a été versé. La Guadeloupe, une nouvelle fois, a été amputée. La justice doit-être rendue… Mais pas sur l’île, il faut éviter tout débordement, pas en Guadeloupe, il faut entraver toutes représailles. Selon le souhait de l’état français, le procès sera donc délocalisé et aura lieu en France hexagonale, à plus de 8000 kilomètres des lieux, des faits, des hommes, de l’âme du pays.

En plein XXè siècle, le peuple de la Guadeloupe serait-il passé pour barbare, un peuple incapable de se tenir, un peuple dominé par le malin ?
Mais, en définitive, la délocalisation du procès ne participait-elle pas simplement d’une stratégie d’acquittement du fonctionnaire Maas qui sera d’ailleurs promu au grade d’adjudant entre temps ?

Force est de constater que l’affaire allait être plaidée en cour d’assises. Ce qui nécessitait, en plus de la présence de 3 magistrats, l’élection de 9 jurés… assurément, majoritairement blancs.

Pouvait-on raisonnablement rendre un jugement impartial dans une salle d’audience bondée à craquer de gendarmes, soutenant un des leurs, n’ayant cesse de clamer la légitime défense ?

Malgré le professionnalisme, la sagacité et la verve de maître Mariamne, de maître Rhodes et de maître Tacita, partie civile, avocats de la famille Salin, malgré le jugement accablant d’un des 6 gendarmes contre le sergent Maas, ce dernier sera acquitté. Il sera précisément reconnu coupable mais dispensé de peine. Fin du chapitre.

Il semble que cette petite erreur de parcours n’ait en rien enrayé la carrière du fonctionnaire qui, en 1989, sera promu au grade d’adjudant et qui, aujourd’hui encore, siège comme médiateur dans une municipalité française. Une fonction prestigieuse qui dit l’exemplarité de celui qui l’exerce aux yeux d’un état français demeuré sourd et impassible devant le grondement de voix discordantes. Dans un article consacré à l’affaire Salin, le journal, Le Monde s’étonnait déjà à l’époque de l’acquittement du gendarme. Indubitablement, comme le suggère la venue, en personne, en Guadeloupe, au chevet de la famille Salin, d’un ministre de l’époque, monsieur Lemoine, une erreur a été commise, un innocent a été tué et tout un pays a été méprisé.

Charles-Henri Salin
Charles-Henri Salin

A quand la vérité ? A quand la justice ?
Fidèle à ses principes fondateurs de résistance culturelle et de lutte contre toute forme d’oppression et d’aliénation, habité aussi par la certitude que « la liberté est impossible à l’ignorant », le Mouvman kiltirèl AKIYO, a décidé, les 18 et 19 novembre derniers, d’exhumer l’affaire Salin et de la passer au crible afin que le souvenir de Charles-Henri Salin demeure vivace.

15 Commentaires

  1. je suis nee en 1981 cette histoire me touche il faut que se mr maas paie pour se qu’il a fait aucune prescription big up thimalon defunt lancrero tout les anciens deja parti duuuuurrr la verite doit etre retabli quand ce sont les juif on dedomage et on viens nous parler de democrati je veux la verite quil paie

  2. Merci pour ce rappel qui profitera, je l’espère, aux jeunes générations. Je me souviens de notre émotion, de notre indignation, de notre colère , puis de la rage que nous avions tous ressentis quand l’assassin d’Henri fut acquitté. Ceci n’est pas un fait divers.

  3. Le souvenir de Charles-Henri restera présent à vie en moi. Je garde de lui l’image d’un jeune calme, gentil. Au lycée de Baimbridge à la même époque, quand j’ai appris sa mort, je suis restée sans voix et surtout les conditions de celle-ci. Enfin bref, RIP Charles-Henri.

  4. version des gendarmes est difficile à croire pour ceux qui ont connu Charles Henri, an pain doux,copain de lycée et de handball , an jou l’Istwa ké baw dignité aw, pa pè.

  5. Tres bien et objective J’ai etait curé de la Chapelle de Madame Laurenty à cette moment.Timalon,Soso,L’African etait avec les autres notre Robin de Bois la vraie histoire doit etre connu. Peace

  6. Il faut choisir:
    la liberté dans la pauvreté ou le bien-être dans l’esclavage!
    la colonisation donnera toujours raison aux colons, l’histoire s’écrit par les vainqueurs!
    Aux moins, la génération avait le courage de penser l’indépendance, de tuer ou de mourir pour elle. De nos jours qui oserait renoncer aux faveurs sociales de la France?
    Surement pas nos intellectuels qui se cache derrière “la mondialisation, le tout-monde, la créolité”, nos politiques, trop doux, trop polis, trop occupés à prendre la place des colons, peut-être notre jeunesse, mais avec toutes ces drogues qui dévorent leur cerveau et l’argent qu’elles représentent, pourra-t-elle rester intègre?
    Les seules racines qui nous restent sont la tradition, nos coutumes, nos moeurs, notre héritage culturel, notre histoire.
    La terre est au centre de ses tensions raciales dans le système colonial qui à pour but de nous acculturer, de nous machiniser. La terre se défend par la connaissance des lois et lorsqu’elles ne suffisent, la terre se déffend par la force, primaire ou de haute technologie.
    La lutte pour la terre ne peut se faire sans ferveur populaire, sans reconnaissance patriotisme, sans sentiments national, ce que le mouvement LKP à su nous transmettre pendant 40jours.
    Mieux vaut l’injustice de son pays, que la justice en pays étranger.
    GWO KA, AME DE LA GUADELOUPE!

  7. A mon camarade de classe, mon voisin de table en cours, calme et cool !!!
    Eh oui, encore une fois le mépris de la caste dirigeante envers la cour des dominés, mais pas insoumis…….
    Le temps passe certes, mais si l’amour et la mémoire de nos chers perdure, le désir de vérité est plus vivace encore.
    Et, nourrie de l’espoir légitime d’une réparation symbolique, notre conscience collective brandit inlassablement le flambeau qui dénonce leur crime!!

  8. A mon compagnon de Hand Ball au lycée Baimbridge, je le connaissais bien Cool y avait plus que lui , impossible que ce gars là a pu menacer un gendarme, impossible. Charles Henry ton souvenir est toujours present dans ma mémoire c’est une douleur indélébile.

    POPOL

  9. superbement bien rédigé. très enrichissant pour la jeune génération. encore un argument pour justifier le combat que nous menons, qui devrait aller de soi dans l’esprit de tous , mais qui est trop souvent enfoui et mis aux oubliettes.

  10. Quel parti politique était au pouvoir lors de cette exécution ? Qui était le Président de la République Française à cette époque ? Quel tendance politique donnait les ordres aux gendarmes lors de cet assassinat ? Quel puissance politique au pouvoir a protégé ces gendarmes ?
    Je ne vois pas ces informations dans l’article. Ca me parait capital pourtant de le savoir …. !

  11. merci à vous pour cet article…cette leçon d’histoire…de notre Histoire qui ne nous sera JAMAIS enseigné dans les écoles coloniales……la (in) justice coloniale une RÉALITÉ……

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