Dans le paysage cinématographique qui nous est offert, où la voix afro-caribéenne est souvent sous-représentée, “ZION” s’impose comme un souffle d’air frais !
Souffle dont nous avions déjà profité après la sortie en 2020 du court-métrage “TIMOUN AW” réalisé par la même équipe, dont le synopsis a également servi de karésòl pour “ZION”. Nous conseillons donc aux cinéphiles qui ne l’ont pas encore fait, une séance de rattrapage si possible.

Filmé entièrement en Guadeloupe, “ZION” nous plonge, avec un réalisme troublant rappelant “LA CITÉ DE DIEU”, dans le quotidien imprévisible d’un dealer de rue. Ancré dans la réalité des quartiers chauds de Pointe-à-Pitre, ce thriller social haletant explore les thèmes de la responsabilité, de la survie et de la quête identitaire à travers les yeux de Chris dont la routine semble s’enrayer lorsqu’il découvre, un matin, un bébé abandonné devant sa porte. Un événement qui précipite une série de bouleversements influents sur ses choix et qui fait basculer son destin.

“ZION” est visuellement séduisant. La direction artistique, alliée à une photographie vibrante, met de suite en valeur l’envers du décor d’une Guadeloupe carte-postale. Celui d’une société insulaire en constante survie et pour laquelle les mots plage et rivière n’ont rien d’idyllique. Chaque cadre résonne avec l’histoire et l’héritage culturel de cette cité urbaine qu’est Pointe-à-Pitre. L’utilisation d’acteurs non formés, loin d’être un simple choix esthétique, confère au film une authenticité guadeloupéenne rarement vue au cinéma. Cette approche permet aux personnages du film de respirer, d’exister véritablement non seulement dans leur environnement, mais aussi aux yeux du spectateur. En regardant ce film, nous reconnaissons nos amis, nos voisins, nos ainés, notre jeunesse … notre vie.
Chris, le personnage principal, interprété par Sloan Decombes dont l’énergie et le jeu illuminent l’écran, est vraiment attachant malgré la position qu’il occupe dans la société. Sa lutte, pour jongler entre la vie de dealer et la responsabilité soudaine qu’implique la présence de ce bébé, est à la fois touchante et réaliste. Les émotions qu’il partage avec nous lors de ces nombreuses courses-poursuites sont hautement contagieuses ! Lucile Kancel, dans le rôle de Lucie la junkie, Mike Bureau dans celui du Prophète SDF et Don Snoop jouant celui de Tidog, caïd de quartier, laissent aussi une empreinte indélébile sur ce film et dans nos têtes. Chacun de ces personnages réveillent et attirent l’empathie. Leur interprétation surréaliste nous plonge et nous garde dans une réalité à la fois familière et déconcertante, en demande quant à l’histoire de vie de chacun d’eux.

Certains d’entre nous ont encore en tête des références cinématographiques telles que Victor Reinette (“SÉ NOU MENM”), Janluk Stanislas (“POUKI”, “TRAFIK D’INFO”), Bryce Stone (“TRÉMENS”) entre autres, qui ont su alimenter notre cinéma sans pour cela se positionner en porte-drapeau. Avec “ZION”, long-métrage d’1h39, Nelson Foix (réalisateur), KissFilms, DACP & Black Moon Films (producteurs), marquent et aident à une véritable renaissance du Cinéma Guadeloupéen, appellant par effet ricochet Public, Partenaires, Critiques et Pairs à se mettre en action, car faisant eux aussi partie intégrante de la famille de ce Cinéma.
Nelson Foix, a grandi entre la banlieue parisienne (Bondy) et la Guadeloupe. Longtemps passionné d’athlétisme, il apprend de ses expériences sportives, musicales et artistiques (kickboxing, basket, piano, rap, hip-hop, …) avant de s’intéresser à l’image, tout d’abord via la photo, puis la vidéo. Après un BTS audiovisuel, il réalise quelques clips et se rend compte rapidement qu’il veut par dessus tout raconter des histoires en alliant écriture et images. Les portes du 7ème art s’entre-ouvrent alors et arrivent ses premiers films : “L’ENFANT SEUL”, “5MIN20”, tournés en France respectivement en 2016 et en 2017 – Puis “TIMOUN AW” tourné en Guadeloupe en 2019, qui servira de rampe de lancement à “ZION”.

Ce film offre à l’audience Antillo-Guyanaise une place privilégiée, où pour une fois chaque référence culturelle devient l’écho de sa réalité. Parmi ces références, nombreuses seront celles qui passeront par-dessus la tête de critiques mal préparés. Un kouto-chyen qui, même s’il s’avère être à double tranchant – car cette richesse de détails, bien que précieuse pour le public Antillo-Guyanais, pourrait passer inaperçue pour de nombreux critiques hors-sol, laissant entendre un déséquilibre entre l’intention artistique et la compréhension du spectateur -, affirme haut et fort notre identité notamment en faisant le pari (gagnant !) d’accorder une place importante à la langue guadeloupéenne dans les dialogues tout au long du film.
La musique du film est signée Bris Davoli, un compositeur professionnel du genre et on y retrouve également la touche d’Arnaud Dolmen, notre jazzman sorti tout droit de l’école de musique Kimbòl dirigée par Georges Troupé. Cette bande originale est finement accompagnée de plusieurs titres d’artistes issus de la scène urbaine caribéenne, rythmant à souhaits chacune des scènes du film.

“ZION” est un film qui se regarde et qui s’écoute jusqu’au dernier crédit de fin. Il a la capacité de faire se déplacer des générations de cinéphiles en même temps et celle d’approvisionner de nombreux débats dans nos sphères politiques, culturelles, associatives et familiales. D’ailleurs, une fois installé.e dans votre fauteuil, nous vous invitons entre autres à “chercher Nelson” comme certains ont pu chercher Charlie (en Europe) ou Waldo (aux USA). Bien que discrète, son apparition dans le film, n’est pas un hasard (on en reparlera peut-être 😉 ). Pour une claque assurée, n’hésitez pas à découvrir ce à quoi notre cinéma peut ressembler lorsqu’il fait le pari de l’authenticité et celui de la confiance en notre potentiel individuel et collectif. La route est encore longue … Mais le chemin semble dorénavant bel et bien tracé.
Ps : Par solidarité, cet article est dédié à Romuald Sinseau Hilaire et à Christopher Desfontaines.