Vendredi 21 mai, gare maritime de Pointe-à-Pitre, un ballet de voitures exécute, à l’unisson, une chorégraphie bien huilée et déverse des sourires radieux, des regards pétillants d’impatience. Dans tous les cœurs, résonnent une même et irrépressible envie d’ivresse musicale, une même boulimie d’envoutement des sens.
Un bateau approche, une marée humaine s’engouffre appelée par les échos des sons et les effluves des saveurs sonores de la Terre du Blues. A bord, les “frazé” d’Akiyo Ka semblent éloigner définitivement des êtres, les maux de la mer pendant que “Mèndé”, “Woulé”, “Padjenbèl” et “Toumblak” dansent sur les flots.En un battement de cils, Marie-Galante, Terre de blues, terre magique nous tend ses bras chaleureux : des hommes aux costumes bigarrés font renaître le temps d’un instant, Vaval et sa musique.
Mais déjà les voix séculaires de la tradition et du Gwo-ka se font entendre. Un cercle se forme. “Tanbouyé”, “Chantè”, “dansè, dansèz”, “répondè, répondèz” prennent place. Une chaleur torride envahit alors les lieux. Une pluie envieuse tentera en vain d’éteindre le feu de la transe, de la « transmission ». Les voix mystiques de FANSWA LADREZEAU, parrain de l’édition 2010 du festival, ou de KOK-LA, chanteur bien connu des habitués de la piétonne et des soirées léwòz, les frappes extatiques d’YVES THOLE ou de MARC DIXIT, font exulter la foule, au son du « boula » d’AKIYO KA. Les danseuses, des plus aguerries aux néophytes ont l’air d’exécuter des pas inspirés directement par les dieux.
O communion de la transmission !
Les premiers rayons du soleil commencent déjà à s’étirer que le ka susurre encore des mots doux aux oreilles de l’île aux cent moulins. Marie-Galante, terre de blues, terre de partage et in extenso de transmission revêt alors ses plus beaux atours. Elle arbore à son cou un magnifique collier de graines de savoirs et de savoir-faire. Par ailleurs, à tous les coins de rue, le sourire, l’amabilité, la disponibilité et la bonne humeur Marie-Galantaises resplendissent. Les plages de sable fin, au regard bleu azur offrent un nid douillet aux noctambules repus de musiques ou un bain de soleil régénérant. A n’en pas douter, les plus grands centres de thalassothérapie lui envient la tiédeur et la pureté de ses eaux.
Terre de blues, havre de paix !
A la nuit tombée, les étoiles ont semblé redoubler d’intensité pour indiquer le chemin du Château Murat.
Festival, festivités ! Un camaïeu afro-caribéen a coloré la scène de ce lieu chargé d’Histoire.
“Evè plis koulè, èvè plis lodè, plis richès, plis rèspé, nou ké pli solid”. Ces mots du parrain ont paru pénétrer chaque centimètre carré du site, transmué en espace de retrouvailles, de partages, de découvertes, de plénitude. C’est un vrai arc en ciel créatif et artistique qui a habité le Château Murat.
L’artiste martiniquais VICTOR O a inauguré l’ère du rassemblement, de la “Révolucion Karibeana”.
Les voix de l’américain RICHARD SMALLWOOD et de sa chorale ont rappelé le pouvoir transcendantal du gospel et consécutivement du chant, arme de paix dans la lutte de l’Homme contre l’oppression.
En revanche, les augustes et talentueux MORGAN HERITAGE ont, semble-t-il, oublié que le reggae jamaïcain prônait avant toute chose des valeurs humanistes desquelles l’esprit mercantile et le profit sont bannis.
La sulfureuse salsa cubaine d’ALFREDO DE LA FE a littéralement embrasé Marie-galante, imposant la salsa au panthéon des grandes musiques et danses caribéennes. L’artiste haïtien BELO a fait la démonstration qu’il n’y a pas de schisme entre tradition et modernité mais qu’au contraire, l’une se doit d’épouser l’autre pour espérer faire œuvre. L’artillerie lourde a été déployée avec les « EN VOGUE », un quartet de charme qui dans les années 90 a marqué une génération de mélomanes nourris au biberon du RNB made in USA. Tout de blanc vêtues et accompagnées de musiciens hors pair, les quatre drôles de dames ont assuré un vrai show à l’américaine, confirmant cette célèbre citation : « le tout est d’avoir du génie à 20 ans et du talent à 80 ans. ».
Dans un autre registre, la musique du groupe guadeloupéen SOFT a flirté avec des registres divers et variés rappelant que la musique est souvent l’écho de la vie… Mais deux moments de pure grâce ont marqué de manière indélébile l’édition 2010 du festival Terre de Blues:
Tout d’abord, la prestation du Sénégalais, ISMAEL Lo qui a incarné l’universalité. Sa musique fut émotion. Une émotion qui pénètre sans crier gare et qui touche le cœur au plus profond. Au moment où il a entonné « Africa », Marie-Galante a semblé traverser les mers, déplacer les terres et fusionner avec le reste du monde. Un moment magique qui du reste, a atteint son paroxysme avec le duo inédit ISMAEL LO, FANSWA LADREZEAU, chantant ensemble l’amour matricielle mais aussi l’amour de l’Autre, notre semblable.
Puis, FANSWA LADREZEAU et son groupe ALKA OMEKA qui ont, quant à eux, tout simplement été prodigieux. Ce Ras ka, amoureux transi du gwo-ka, n’a eu cesse tout au long du festival de répandre de l’amour. Une générosité d’âme qui a transpiré dans des textes tels “Lesprisen” ou “Wobè Lwazon”. Par ailleurs, cette figure emblématique du “gwoup a po” AKIYO, a donné ses lettres de noblesse aux mots liberté et création, en annihilant les frontières. Etait-ce du Gwo-ka ? Etait-ce du Gwo-ka moderne ? du Gwo-ka évolutif ? Ou n’était-ce pas tout simplement de la Musique, création en mouvement, épurée des scories inhibiteurs, qui rassemble les âmes au moyen d’un langage averbal ? La voix de baryton, de FANSWA LADREZEAU, musicien et chanteur, membre de la formation GWO-KA MASTERS, montée par le virtuose jazzman américain, DAVID MURRAY, a évolué sur des musiques plurielles entremêlant Gwo-ka, Jazz, Rock et BLUES. Au fur et à mesure de sa prestation, la bruit a perdu de sa fougue et a retenu son souffle pour faire place nette à la substantifique moelle de la puissance créatrice, sublimée et magnifiée par un assourdissant langage et une magistrale expression des corps en mouvement.
Assurément, le festival Terre de Blues 2010 aura touché “le Beau”, en nous faisant “oublier le bruit de la Terre, pour écouter l’harmonie céleste”.
Merci Terre de Blues, merci pour cette transe, merci pour cette transmission !