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Vous nous posez un problème

Messieurs les présidents des collectivités, région et département, vous nous posez un problème. Jeudi 7 mai, vous avez pris l’initiative de diffuser un scénario imaginé de toutes pièces avec la complicité de certains média. Que cette occupation du conseil général vous dérange, on peut le comprendre, mais contrairement à ce qui a été dit, il n’y a eu ni molestage, ni intimidation, ni casse. Encore heureux que les caméras aient été là, les téléspectateurs ont pu s’en rendre compte ! Pourtant le scénario est quand même passé et voilà la Guadeloupe débattant depuis une semaine de ce qui n’a pas eu lieu. S’il me prenait l’envie de dénoncer une atteinte caractérisée à la démocratie, ce serait celle là. Alors messieurs les présidents de collectivités, reprenez la place qui est la votre au sein de cette société : Réoccupez l’espace politique. Le lien nécessaire entre le peuple et ses élus est suffisamment fragile et nous devons faire l’économie de pareilles pitreries. Avez-vous noté que malgré une campagne intense de publicité, les états généraux sont un fiasco général, les salles demeurent désespérément (ou du moins heureusement) vides? Le peuple est ailleurs. Or jeudi 7 mai, il est venu crier son exaspération auprès des seules autorités qu’il reconnaisse : vous. Car il s’agit là bien d’une marque de reconnaissance – pas d’approbation, ni de rejet, mais de reconnaissance. Si vous étiez moins préoccupés par votre survie politique, vous auriez été plus clairvoyant sur le mouvement en cours. Vous n’auriez vu aucune tentative de coup d’état, encore moins quelque chose de comparable à la marche de l’extrême droite en 1934. Sachez que vous êtes nos élus et que pour nous, cela ne peut être remis en question que par les urnes, seulement, il est grand temps d’arrêter de nous craindre comme la peste car s’il y a crise politique, elle réside dans des élus qui préfèrent se réfugier que de rencontrer un peuple en mouvement qui après 44 jours de grève générale, n’a plus à démontrer sa volonté non violente… Ainsi donc, vous nous posez un sérieux problème !

Mesdames, Messieurs les journalistes, du moins certains journalistes. Comment avez-vous pu laisser le 4è pouvoir (la presse) être la main du pouvoir politique ? N’avez-vous pas un minimum de déontologie ? Depuis le 16 décembre, c’est l’avenir du pays que vous relatez à travers vos informations. Un tel enjeu ne peut laisser personne indifférent. De ce fait, il n’y a rien de choquant à ce que vous affichiez un parti pris. Mais de grâce, éliminez la manipulation de votre arsenal, c’est insupportable. C’est aussi insultant pour notre intelligence. Au moment où nous étions si nombreux dans les rues, mentir ne servait à rien, nous savions tous la vérité. Jeudi 7 mai nous n’étions que 5 000 alors vous avez fait le pari du mensonge, c’était jouable, j’en conviens, mais c’est scandaleux. Hier vous faisiez les louanges d’un service de sécurité ayant réussi à éviter tous les débordements, aujourd’hui vous posez des questions telles que « le service de sécurité veille contre qui ? Contre quoi ? ». Vous le savez très bien : il sert à éviter tout débordement, et comme d’habitude, il a joué pleinement son rôle. Et que dire d’un journaliste à la déontologie douteuse, élu politique de la majorité des conseils généraux et régionaux, et qui pourtant déverse quotidiennement ses « chroniques » politiques sur le media majoritaire ? De grâce, prenez la mesure de l’enjeu ! Il s’agit du destin d’un peuple. Ce peuple a besoin de lumières, pas d’obscurantisme. A utiliser régulièrement les moyens les plus inavouables pour modifier la perception des événements,
vous nous posez un sérieux problème !

Mesdames, Messieurs les membres de la société civile choqués et dénonciateurs, vous nous posez un problème. Souvenez-vous de votre enthousiasme et de votre optimisme de la fin du mois de janvier. Depuis, des victoires syndicales et des avancées sociales ont été remportées. Mais aussi : il y a eu une véritable déferlante de joie, une libération de la parole et des consciences, et émergence d’une société civile. C’est encore cela qui est en cours. On assiste a une Guadeloupe qui pour la première fois de son histoire post esclavagiste se cherche un destin commun. Dans cette quête, nous devons arpenter des chemins non balisés et semés d’embuches. Nous aurons besoin de certitudes, mais nous avancerons aussi parfois à tâtons. Comment pourrons nous y parvenir si la société civile est plus prompte à dénoncer le tâtonnement d’un peuple qui se cherche qu’une manipulation politico-médiatique qui elle, se joue véritablement des fondements de la démocratie? Où est passé votre sens de la mesure ? Ressaisissez-vous ! Vous vous êtes repliés sur vos vielles craintes d’un anarcho-syndicalisme effréné, mais avez-vous oublié le sens des mots « histoire en marche » ? Avez-vous oublié ce que sont les hésitations d’une histoire qui s’écrit au présent ? Ce qui s’est passé jeudi 7 mai était – peut être – une faute stratégique, peut-être il y a-t-il eu un manque de pédagogie. Peut-être une faute de goût ou peut être même tout simplement une erreur (je l’ai personnellement vécu comme un moment de joie pure), mais en aucun cas la démocratie n’a été piétinée, en aucun cas il n’y a là les prémices d’une quelconque guerre civile. C’est peut être la seule chose que le président Gillot ait compris en martelant qu’il n’appellerait jamais à la répression contre son peuple. Membre de la société civile, retrouvez votre sens critique, votre sens des priorités et votre sens de la mesure.

Vous parlez de symboles sacrés, nous répondons qu’il n’y avait aucune intention de remettre en question la légitimité des urnes. Alors, finalement, parlons-nous de la même chose ? Non ! Vous laissez échapper vos peurs intimes les plus irrationnelles alors que nous laissons échapper nos espoirs collectifs les plus fous. C’est là votre plus grande erreur : vous, intellectuels, avez réagi sur le registre de l’émotion et pas de la raison. C’est ici que vous nous posez un sérieux problème.

Mesdames, Messieurs les militants qui doutent, vous nous posez un problème. Je m’adresse ici aux militants chevronnés, pas aux nombreux « nouveaux militants » générés par ce mouvement. Vous qui êtes la première force de conviction, vous qui incarnez le moteur même de la marche d’un peuple, aujourd’hui vous doutez. Il vous a suffit d’un non-événement, suivi d’une manipulation montée de toutes pièces et diffusée à des fins malveillantes pour que vous doutiez de tout. Quelles valeurs porte votre militantisme ? Des valeurs hors sols que vous souhaitez appliquer à une Guadeloupe qui politiquement n’existe toujours pas ? Militants plus promptes à désister qu’à dénoncer la pwofitasyon qui lentement, mais surement se refait une santé après le KO que lui a infligé le mouvement social ? Militants incapables de dénoncer la léthargie des autorités lorsque plus de 20 grèves-marathon persistent en Guadeloupe, mais immédiats à condamner les tâtonnements sans dangers de l’histoire ? Militants pleurant sur le prétendu piétinement d’institutions sacrées alors même qu’ils nous expliquent la main sur le coeur qu’ils sont d’accord pour remettre en question le système tout entier qui s’appuie sur ces mêmes institutions ? Militants incapables de concevoir le bousculement de l’un des symboles d’un système qui à l’évidence doit changer ! En adhérant à la polémique, vous culpabilisez le peuple qui se cherche et vous fragilisez le mouvement. Si ce costume sied à ravir aux alarmistes, aux mini-réformistes et à ceux qui souhaitent que rien ne change; sur vous, cela nous pose un sérieux problème.

Messieurs les représentants de l’Etat, vous qui avez laissé s’enliser le conflit en refusant de prendre au sérieux le grondement social de décembre, vous qui par deux fois avez quitté la table des négociations, vous qui avez bafoué la parole donnée, vous qui avez vidé de son contenu un accord salarial que vous aviez vous-même négocié, cautionné et signé. Vous êtes passés maîtres dans l’art du piétinement de principes sacrés… Nous n’avons que faire de vos leçons de morale, c’est d’hommes et d’un peuple qu’il s’agit, pas d’un de ces jeux méprisant et puant que vous jouez dans vos bureaux. De grâce taisez-vous et contentez-vous d’observer : cela ne vous regarde pas. Par vos indélicatesses, vous nous posez un sérieux problème.

Collectif Liyannaj Kont Pwofitasyon, enfin, sachez que vous aussi nous posez un problème. Vous qui avez su trouver les mots, vous qui avez su créer les conditions d’un éveil des consciences, d’une soif de se battre contre ce que hier nous acceptions, ruminants silencieusement nos douleurs. Vous qui avez su impulser la volonté de construction d’un avenir plus que jamais collectif. Nous ne savions par quelle corne attaquer le taureau, le succès du mouvement du 20 janvier a montré que la méthode était la bonne : Liyannaj kont pwofitasyon pou détòtyé Gwadloup. Nous avons adhéré sans failles et nous serons là jusqu’au bout. La lutte contre la pwofitasyon ne doit jamais devenir « un bon souvenir de 44 jours », mais une constante, et elle doit se mener avec une détermination sans failles.

La plateforme de revendications du LKP pose une part importante du problème guadeloupéen. Il s’agit donc d’un outil solide pour l’élaboration d’une vision d’avenir. Vous avez posé un problème dont la portée est hautement politique. Jeudi 7 mai, vous nous avez dit – et c’est tout à votre honneur – que vous les dirigeants du LKP refusiez de vous assoir à une table où l’on vous convie à parler au nom du peuple guadeloupéen, vous nous avez dit que vous refusiez la prétention de porter uniformément le souhait du peuple, car celui-ci est suffisamment mur pour s’exprimer directement en temps et en heure, suivant un calendrier qu’il aura lui-même fixé et que l’heure était au règlement du conflit social. Mais force est de constater qu’aujourd’hui, il y a une attente politique. Or au milieu de ce brouhaha nous n’y voyons plus très clair : des états généraux nécessaires mais qui organisés comme ils le sont ne serviront à rien, des élus qui fuient le peuple comme la peste, une presse mensongère, un Etat démissionnaire. Souvenez-vous de ce qui a fait votre force : unité, expertise, débat interne, surprise, innovation. Or aujourd’hui ces forces semblent mises à mal. L’unité a récemment tremblé, l’expertise de chacun se gaspille dans la non-élaboration d’une charte politique, la surprise n’est plus d’actualité. Rassemblez-vous, discutez et offrez au débat guadeloupéen une ligne politique claire, fut-elle non électorale. Autrement, vous nous poseriez un problème.

Oui, acteurs de la société guadeloupéenne, vous nous posez un problème. Nous nous posons un problème qu’il est urgent de résoudre. Profiter de chaque mini désaccord pour alimenter des polémiques sans fin n’est surement pas la bonne méthode. C’est l’opposition des idées nous permettra d’avancer, pas le choc des émotions.

Sadi Sainton

2 Commentaires

  1. Excellente intervention….c’est à chacun de nous de dépasser ses petites bassesses et de s’élever au niveau de l’intérêt général d Pays. LKP n’est pas LA sloution. Mais un élément du puzzule.Ker chaak moun pren esponsabilité a yo et las kaché deyè lkp. L’ordre et la sécurité sont cruciaux dans un pays. Le respect des ainés même non partisans du lkp, aussi il ne sert à rien de joer avec la peur de gens. le mouvement du 20 janvier n’es pas prétextye à régler ses petits cancans et affaires privées….

  2. Mais, il me semble que “l’opposition des idées” génère nécessairement de l’émotion ; qu’elles soient contradictoires (désagrément, colère, haine…) ou convergentes (contentement, joie, amour…).

    Alors, selon moi, c’est dans l’acceptation ou pas de l’apparition de ces émotions que se trouveraient le noeud des débats.

    Sommes – nous prêts à nous haïr ou nous aimer ?

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